« Belong, believe, behave »: primauté du « belong »

Dans Manuel de survie pour les paroisses[1], James Mallon se prête à une analyse sociologique de l’évolution des mentalités et des comportements : en un demi-siècle, nous sommes passés de la logique du Behave-believe-belong (conduite-croyance-appartenance) à la logique inverse, la première étant rendue caduque selon lui par le fait que les gens n’ont que faire de la vérité. « La plupart des gens rejoignent les églises, y restent ou la quittent non pour des raisons de croyance, mais à cause d’un sentiment d’appartenance, à cause de la communauté. L’ancien ordre conduite-croyance-appartenance a été inversé. »[2] S’ensuit une analyse simple mais lumineuse : « Beaucoup veulent changer de mode de vie et de comportement, mais seulement s’ils y croient par eux-mêmes. Les croyances sont changées non par les prêches et les enseignements, mais par la construction d’une certaine confiance fondée sur des relations, de l’attention et un sentiment d’appartenance. »[3]

Il s’agit désormais de comprendre cela de l’intérieur, de contempler ce changement de logique, afin que notre posture ecclésiale et notre pastorale s’adapte à cette évolution. Le « behave » ne s’impose pas : cela va de soi, mais au regard de nos habitudes ecclésiales, avons-nous véritablement aligner nos façons de faire sur ce postulat. Je voudrais ici proposer l’idée que cette évolution qui nous est demandée par le contexte n’est pas seulement contextuelle : elle rejoint le cœur même de la Révélation. On a souvent remarqué dans l’histoire de l’Eglise que l’évolution du contexte la poussait à évoluer. Face à cela, certains dans l’Eglise peuvent se raidir et se retirer dans « l’Eglise tour d’ivoire ». D’autres vont dialoguer, comprendre et s’ajuster afin de continuer à être pasteur et non panneau indicateur. On ne peut pas généraliser cela, mais dans de nombreux cas, l’évolution du contexte nous aide à mieux comprendre la Révélation. Cela ne joue pas au détriment de l’Eglise, de son Magistère, mais au contraire, cela nous l’aide à l’approfondir. Encore une fois, on ne peut en faire une règle générale. C’est bien sûr une question de discernement, qui est possible seulement si on ne se raidit pas intérieurement du fait d’une réaction davantage psychologique que théologique.

Sur la primauté du belong et non plus du behave, cela va clairement dans le sens d’un approfondissement de la Révélation. Si dans les siècles précédents, cela ne faisait pas problème d’imposer le behave parce que les mœurs et les habitus sociales allaient dans le même sens (autrement dit, ce n’était pas le propre de l’Eglise, mais de toute une société, son ethos), cela pose un problème en revanche après la valorisation de la subjectivité par la philosophie existentialiste de Kierkegaard et l’émergence salvifique de la psychologie. Continuer à imposer même inconsciemment un behave serait précisément un dénigrement partiel de la liberté, de la subjectivité. Théologiquement, l’enjeu est bien le respect de ce qui est sacré en l’homme : son esprit, sa subjectivité, sa liberté intérieure source de son agir social. La dignité de l’homme si fréquemment enseignée et rappelée par l’Eglise commence précisément ici.

Mettre en avant le belong, c’est proposer à tous, de façon inconditionnelle d’abord un accueil et une Eglise résolument hospitalière qui que nous soyons, mais aussi théologiquement de devenir membre d’un groupe, ce qui est déjà un premier pas vers l’appartenance à l’Eglise Corps du Christ. Quoi de plus juste théologiquement ! Bien sûr, cela est libre et progressif ! Le respect inconditionnel des subjectivités individuelles doit se vivre à chaque étape du processus. Sur ce point, s’il fallait à certains un autre argument, les révélations des abus de conscience dans l’Eglise nous y obligent par charité. Loin d’être une Eglise au rabais qui braderait son enseignement dans l’accueil inconditionnelle, ce serait une Eglise sainte proposant rien de moins que la forte exigence d’une charité que l’on doit à tous. Elle serait signe (sacrement) vers les bras du Père attendant le fils prodigue.

On pourrait ensuite regarder comme se fait ou peut se faire le passage du belong au believe. Ce sera l’objet d’un article ultérieur. En attendant, la question que James Mallon nous pose est la suivante : « sommes-nous prêts à offrir une expérience d’appartenance à ceux qui ne croient pas encore et qui ne comportent pas encore bien ? »[4] Si la réponse est positive, alors il nous faut créer comme je le disais dans l’article précédent, des groupes intermédiaires, des parcours comme Alpha, qui permettent un accueil inconditionnel à ceux qui n’en sont encore à confesser Jésus maître et Seigneur. Ce premier lieu d’appartenance sera très certainement un lieu de grâce.


[1] James Mallon, Manuel de survie pour les paroisses, Artège, 2015.

[2] Mallon, p.155.

[3] Idem, p.155-156.

[4] Idem, p.156.

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Publié par ThibautG

Vouloir l'Eglise que Dieu veut

2 commentaires sur « « Belong, believe, behave »: primauté du « belong » »

  1. Bonjour Thibaut et merci pour vos billets même s’ils sont un peu « haut perchés » pour moi !

    Je voulais vous faire part d’une réflexion, un peu plus terre-à-terre mais qui, à mon avis, devrait fonder notre action.

    Je croise beaucoup de gens (et je fais aussi parfois partie des gens!) qui n’ont plus d’espérance. Des jeunes parfois qui ne veulent plus mettre d’enfants au monde, car ce monde est devenu trop difficile.

    Pendant longtemps une espérance « laïque » (ou bien est-ce le culte d’une idole?) leur a permis de vivre et de construire un certain « monde meilleur » : communisme, capitalisme, hygiénisme (covid), consumérisme, matérialisme, progressisme, écologisme et culte de la planète et puis maintenant anti-racisme, anti-sexisme, wokisme……

    Et dans le même temps, ils se pensent raisonables et non-croyants et considèrent les croyants au mieux comme de doux rêveurs et au pire comme de dangereux fanatiques.

    Or pour tous ces gens, le culte, les pratiques et le vocabulaire chretiens n’ont plus aucun sens. Ils n’ont plus aucun des codes pour les comprendre.

    Et pourtant ils ont une soif terrible d’espérance ; surtout en ce moment.

    En tant que chrétien, je me sens interpelé, mais je suis comme encombré par mon vocabulaire et ma culture chrétienne.

    En y réflechissant plus avant je n’ai trouvé qu’une image « profane » pour tenter d’expliquer « Christ ressussité » (= Jesus a vaincu la mort) : c’est que quoi qu’il arrive l’hiver et quoi que l’on détruise dans son jardin, au printemps la vie reprend le dessus avec une générosité incroyable.

    Mais d’une part c’est très profane et d’autre part cela se relie mal – ne conduit pas – au culte chretien qui devrait initier cette espérance et l’irriguer. C’est cette annonce « Christ est ressuscité » qui devrait donner cette espérance.

    Il faudrait donc partir du sensible (comme, par exemple, la perception du printemps) pour insuffler cette espérance. Mais qu’y a-t-il de chrétien dans cette description de la nature ? Et comment relier cela à une communauté et à ses pratiques (messe, etc.)

    Pour conclure, je pense qu’il faudrait re-traduire nos pratiques cultuelles, notre vocabulaire et nos concepts (et peut-être par-dessus tout, ceui de l’espérance et de la resurection) pour les rendre directement accessibles – perceptibles – parlants – évocateurs – compréhensibles pour notre prochain.

    Car je suis convaincu que les concepts chretiens irriguent (mais sans que les gens en soient conscients) la vie de tous les jours :

    – d’une part parce que notre société s’est construite sur ces concepts à travers les âges ( p ex liberté, égalité, fraternité)

    – mais aussi parce que la conception chretienne du monde structure encore notre société et notre conception du monde.

    En fait ce que j’aurais envie de faire c’est de faire prendre conscience aux gens (et même aux plus éloignés de l’Eglise) qu’ils sont chretiens sans le savoir (je crois que c’est en gros ce que dit le Cardinal Sarah sur l’occident qui se dit athé mais qui, quoi qu’il fasse, EST chrétien).

    Et pour faire ce travail de retraduction, il faut deux pôles : un qui est dans l’institution et un qui est dehors.

    Ca vous tente ?

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour! Désolé de ne pas avoir répondu. Je n’avais pas vu tes messages: c’est de ma faute. ils ont été mis comme indésirable. Et en recevant ton mail, j’ai essayé de faire un forum sur le blog, rien que pour discuter avec toi, mais je n’y suis pas encore parvenu! Bref!
      Ta remarque est très pertinente! C’est un débat qui a lieu en théologie: la reformulation des dogmes, des déclarations du magistère, dont le vocabulaire est d’un autre temps. Mais tu as raison que cette reformulation devrait aussi se faire dans la pastorale. Je m’en suis rendu compte quand j’ai basculé en paroisse et que plusieurs mots de la messe étaient incompréhensible pour une partie non-négligeable de l’assemblée.
      En conséquence, on manque de pastoralité. On formule des vérités qui ne peuvent être reçues, comprises et appropriés! Quel dommage! là -dessus, je te rejoins.
      Cela devrait être le propre de toute personne engagée dans l’Eglise de prendre soin de la manière dont elle dite les choses. En raison même de leur soif d’espérance dont tu parles! En disant les choses de façon trop conceptuelles et abstraites (et en France, pays cartésien, on est très fort pour cela!), on les laisse sur le carreau avec leur désespoir.
      Commencer par trouver le bon mot est la première attitude du pasteur. Le pasteur est celui pour moi qui par sa parole veut rejoindre existentiellement la personne à qui il parle. Ce devrait être notre attitude à tous. Ce qui suppose une charité attentive.
      Je ne crois pas à l’organisation d’un travail de reformulation. Mais plutôt dans la traduction existentielle que chacun doit faire du message de salut. Je me rend compte que ce qui aide beaucoup à cela, c’est d’être les premiers à vivre la Parole. Plus on vit la Parole (toute la Bible), plus elle devient une vérité existentielle, et plus on est capable de trouver des images et des mots incarnés pour la dire, la proclamer, en témoigner.

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