« La douceur est invincible » disait l’empereur Marc-Aurèle. S’opposant à la passion sans mesure, à la fameuse « hybris » (la démesure), elle renvoie pour les Grecs à l’amabilité, à la question de l’ « être ensemble », le tout premier cercle de l’éthique et du politique. D’où sa pertinence, sa fécondité, son effectivité, loin de toute mièvrerie, car elle nous rassemble par son sens de la mesure. Plus je réfléchis avec vous sur ce blog à étayer notre théologie de la médiation par l’existentialisme de Kierkegaard (à mettre en avant un chemin subjectif personnel vers l’objectivité de la Révélation), plus je constate que cette théologie étayée est la mesure (ratio) de la raison capable de nous mettre ensemble, sans nous exclure par une pensée trop binaire. Les sacrements laissés à eux-mêmes (fondés sur une philosophie aristélo-thomiste ; et j’insiste sur le « laissés à eux-mêmes » car ils sont nécessaires) peuvent être perçus malheureusement comme ayant une logique binaire : je peux communier, ou je ne peux pas, je peux me confesser, ou non. D’où le fait que malheureusement, beaucoup de chrétiens divorcés remariés ont quitté l’Eglise. C’est très douloureux pour eux comme pour l’Eglise, et pour moi. Parfois, je brûle de leur dire « revenez », et de leur proposer des soirées authentiquement chrétiennes où ils ne sentiraient pas exclus par une logique perçue comme binaire.
En intégrant la vie dans l’Esprit, pensée et fondée sur l’existentialisme comme philosophie, on peut proposer à tous non pas seulement une logique perçue comme binaire, mais un chemin de croissance qualitative sans terme. L’Esprit saint n’est retiré à personne : investir notre esprit existentiellement dans la présence réelle de l’Esprit permet à tous, quelque soit nos échecs personnels d’être inclus, investis, estimés, considérés comme membre du Corps du Christ qu’est l’Eglise. La vie dans l’Esprit telle que la décrit l’apôtre Paul permet à tous un chemin de croissance, un chemin de conscience pour mettre sa vie devant la bonté et l’autorité du Christ, avec d’autres. Elle permet de sentir spirituellement que personne n’est arrivé, même s’il a reçu tous les sacrements. La vie dans l’Esprit nous met sur le même pied d’égalité : tous en chemin et un chemin unique pour tous. D’une part, suivre le Christ suppose de marcher avec lui chaque jour conduit par la présence intérieure de l’Esprit en nous. D’autre part, il y un chemin pour tous, quelques soient nos épreuves ou nos échecs personnels, et ne pas le mettre en avant pastoralement conduit à des mensonges sur la nature de Dieu, qui est Chemin (Jn 14,6). On peut ainsi organiser une multitude de parcours de croissance et de petits groupes, autour de thématiques liées à la vie de disciple, autour de partages bibliques, autour de la louange, et de mission d’évangélisation dans les alentours de notre Eglise locale.
Cette vie dans l’Esprit n’a rien de mièvre ou d’une vie chrétienne au rabais. Les mystiques rhénans qualifiaient de « suavitas » la puissance de Dieu. Sa puissance est douce, suave, car elle propose un chemin réaliste et personnel pour chacun : cela nous paraît doux, car le Christ est doux (Mt 11,28-30). « Heureux les doux, ils hériteront la terre » dit Jésus dans les Béatitudes de Matthieu. Or « doux » et « dociles » ont la même étymologie. La docilité à l’Esprit signifie la douceur de l’Esprit, qui nous rend héritier de la terre promise. Plus on est doux, docile à l’Esprit, et plus on reçoit spirituellement la terre promise, l’héritage d’être fils dirait l’apôtre Paul.
La vie dans l’Esprit permet une authentique douceur pastorale. Je l’ai expérimenté à plusieurs reprises dans les parcours de croissance que j’ai mené, que ce soit le parcours Alpha, ou l’Ecole de prière que j’ai mise en place dans trois paroisses. Cela rassemblait des gens de tout horizon, y compris des gens que je n’avais jamais vu. Chacun vient avec le point où il en est, et que seul lui connait. Par une pédagogie bien pensée, chacun peut prendre lors d’une soirée d’un parcours ou de petits groupes ce dont il a besoin pour sa vie chrétienne, et ainsi se sentir connu, reconnu et aimé. La pédagogie des parcours permet une douceur perceptible par tous individuellement et en groupe, car elle nous met ensemble. Pas de barrière, pas d’obstacle, pas de condition canonique. Simplement une vie dans l’Esprit qu’aucune épreuve de la vie ne peut nous enlever. On n’est pas mis dans une case ecclésiale ou canonique, mais on est rendu libre par l’Esprit d’être fils ou fille du Père (Rm 8).
Pour reprendre la thématique grecque de la mesure, elle permet une mesure qui s’adapte à tous, car l’Esprit saint, étant à la mesure des enjeux de chacun, est le chemin pastoral pour tous. Proposer des parcours, ou des petits groupes de partage biblique permet d’expérimenter que Jésus est le Chemin, qu’Il sait ce dont chacun a besoin pour continuer à vivre. Quelques soient nos échecs, les promesses bibliques sont toujours pour nous et elles sont à la mesure de nos épreuves. Je constate qu’on n’a jamais fini de s’approprier les promesses du Père. Avec l’Esprit saint, on expérimente une adéquation avec nous-mêmes : là est sa douceur, car il se met à notre portée, nous donnant une grâce adéquate, à notre mesure. Et cette douceur est effectivement « invincible », car elle est divine. Elle est la suave puissance de Père nous tendant une main ou nous prenant dans ses bras.