Fonder une théologie pratique sur une philosophie existentialiste

L’échec apparent de la métaphysique à rendre compte du réel (il ne s’agit pas ici d’entrer dans le débat) a favorisé l’émergence de nouveau courant de penser, l’empirisme de Francis Bacon par exemple, qui se voulait une étude scientifique de la réalité des choses mêmes, sans projection a priori de catégories de pensée. La réalité a alors été perçue comme accessible et vérifiable à travers une méthodologie scientifique rigoureuse. Selon Ray S. Anderson, la théorie a alors continué à dominer au regard de la pratique[1]. La vérité restait interprétée au travers de structure interprétative, et de paradigmes, informant la pratique, reléguée largement à une application et des outils basés sur la théorie.

Mais l’avènement de l’existentialisme de Kierkegaard rejetant la philosophie hegelienne, doublé de celle de la psychologie au XXème siècle prenant en considération comme jamais la conscience et la subjectivité a bouleversé la donne. L’échec de la pastorale catholique dite classique tient à l’ignorance de ces faits, et donc à une naïveté pastorale qui la rend nettement moins crédible, voire plus du tout. Elle ressemble parfois à Jean-Baptiste, criant dans le désert, à travers sa formulation dite de façon métaphysique, et dogmatique, avec peu ou pas de prise en compte du cheminement subjectif.

Or pour Kierkegaard, c’est bien de la subjectivité qu’il faut partir. Toutes les philosophies existentialistes reprendront par la suite ce point de départ. Dans notre monde pluraliste, ce que Sartre affirmait avec tant de conviction résonne avec plus de force : l’existence précède l’essence. Du point de vue d’une subjectivité qui naît, qui grandit, qui cherche du sens dans ce monde pluriel, c’est indéniable. Adhérer à une proposition de sens, même chrétienne, sans faire pour soi le cheminement subjectif, relève même d’un déni de sa propre subjectivité. Il y a en cela beaucoup de catholiques qui pourraient être concernés par cela, par ce que le philosophe danois appelle « le comique ».

Il décrit en cela l’incongruence qu’il y a entre les deux domaines de la vérité : la part objective (la dialectique, le raisonnement, …) et la part subjective (l’authenticité). Comme l’eau et l’huile, elles ne se mélangent pas, ne s’articulent pas, à moins d’effectuer un travail d’appropriation. Celui qui adhère à une vérité objective sans ce travail est un comique, ce qui relève d’une véritable catégorie de penser pour Kierkegaard dans le Post-scriptum aux Miettes Philosophiques.

Ainsi, être un « pratiquant », aller à la messe le dimanche sans avoir AUTHENTIQUEMENT Jésus comme maître et Seigneur relève de la comédie ! On l’appelle « Seigneur, Seigneur », mais sans le vivre. Qui n’a pas donné sa conscience, sa subjectivité à la seigneurie du Christ est un comique ! Il va de soi que personne ne vit authentiquement avec le Christ comme Seigneur. Mais du fait de l’incongruence entre la Seigneurie objective du Christ et l’authenticité de ma subjectivité, cela nécessite au moins l’intention active de ce travail d’appropriation. Sinon, on reste un chrétien sociologique (un pratiquant), mais pas un chrétien biblique (un disciple)[2].

Par ailleurs, la pastorale classique relevant d’une succession de sacrements reposant sur un schème de pensée lourdement métaphysique est donc bien impuissante à faire des disciples. Car elle laisse la subjectivité trop souvent à elle-même : elle ne l’emmène pas dans sa vérité, du fait de l’incongruence entre vérité objective et vérité subjective. Elle engendre davantage des chrétiens comiques, que des disciples.

C’est ici que se fait jour le besoin urgent d’une théologie pratique, fondée sur l’existentialisme. Il nous faut en quelques sortes, étayer la théologie de la médiation, car les sacrements laissés à eux-mêmes sont impuissants emmener la subjectivité dans l’objectivité des vérités de la foi. Pour l’étayer, il nous faut poser une théologie de la vie dans l’Esprit sur cet existentialisme, pour favoriser chez tous que nos esprits (nos subjectivités) soient face à l’Esprit Saint. Seule cette attitude existentielle de chaque instant vers laquelle nous tendons manifeste que nous sommes chrétiens, du Christ, habité par son Esprit. Dans nos esprits, nous avons à nous approprier chacune des vérités des Ecritures, des promesses bibliques lues dans la Tradition. C’est un travail de toute une vie de s’approprier la multitude des vérités bibliques, des vérités que les Ecritures nous révèlent. Seul ce travail nous fait quitter le comique d’une foi mondaine, ou extérieure, et nous fait entrer dans une cohérence profonde entre notre esprit et celui du Christ, où la théorie et la pratique (pour reprendre la dialectique du livre de Ray S. Anderson) se correspondent.


[1] Ray S. Anderson, The shape of practical theology, IVP Academic, 2001.  

[2] https://repenserleglise.fr/2018/12/06/chretiens-sociologiques-ou-chretiens-bibliques/

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Publié par ThibautG

Vouloir l'Eglise que Dieu veut

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