Quand on parle de « chrétiens » aujourd’hui, de quoi parle-t-on ? De « pratiquants » ? De personnes ayant une culture et des valeurs se référant au christianisme ? De disciples de Jésus ? Nous pouvons déceler aujourd’hui un quiproquo entre ce que la sociologie affirme de la catégorie de chrétiens et ce que la Bible en dit. En soi, cela est bien normale car la rationalité sociologique n’est pas la rationalité théologique : seule cette dernière peut reconnaître dans la Bible un texte qui fait autorité ; pour la première, son seul maître est le fait sociologique (cf. Durkheim). Mais là où cela pose problème est, qu’y compris dans l’Eglise, la rationalité sociologique semble souvent prendre le dessus sur la rationalité biblique.
Dans la Bible, ce mot n’est présent qu’à trois reprises : deux fois dans les Actes et une fois dans la première lettre de Pierre. C’est à Antioche (Ac 11,26) que les disciples de la« voie » (nom qu’on donnait aux chrétiens au début des Actes) reçoivent le nom de chrétien. Il serait bon par ailleurs de faire l’étude de ces trois occurrences et de la manière dont les historiens romains (Flavius Joseph et Tacite) ont d’emblée repris ce mot. Mais ce n’est pas l’objectif de cet article[1].
A minima, notons au moins que ce mot ne doit pas être surinterprété comme il l’a été par le passé : un chrétien n’est pas un « petit christ ». Ce dérivé du mot Christ signifie l’appartenance : être partisan, être adepte du Christ, tout comme les herodianos, les hérodiens étaient les partisans d’Hérode. Ce nom ne renvoie pas à un en soi, mais à une personne.Il ne renvoie pas à des valeurs, à une tradition mais à une personne avec qui on déclare une appartenance, un attachement : « je suis du Christ ». Il renvoie à la catégorie évangélique du disciple.
En sociologie française, ce mot revêt un sens bien différent. Un chrétien sociologique est une personne qui n’a de chrétien que le nom, car elle ne se réfère pas à la personne du Christ, mais à des valeurs, à une culture, à une tradition. Elle ne participe pas régulièrement à la vie cultuelle, mais elle pénètre dans une église à l’occasion d’un baptême d’enfant, un mariage, des funérailles. Ce sont pour elle des rites obligés dans une société dite chrétienne. Selon Jeung Ou Nam, « on peut trouver des chrétiens sociologiques dans l’Eglise.Ces personnes se considèrent comme chrétiennes et le sont aussi par les autres.Mais trois choses d’importance leur manquent: la conviction que Jésus-Christ est « mon Seigneur et mon Dieu », une présence régulière au culte et une participation positive aux activités chrétiennes (mission, service, éducation). »[2]
Ce christianisme qu’on peut appeler « nominal » n’est pas récent. Le Nouveau Testament déjà atteste cette catégorie : « Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur! Et ne faites-vous pas ce que je vous dis? » (Lc 6.46) « (Les hommes) garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. » (2 Tm 3.5) « Je connais tes œuvres: tu as le renom d’être vivant, mais tu es mort. » (Ap 3.1).
Sans faire une étude approfondie du mot dans les deux disciplines (ce qui serait utile par ailleurs), il est clair qu’on ne parle pas de la même réalité. La terminologie sociologique et la terminologie biblique recouvrent bien deux sémantiques différentes. Le problème constaté aujourd’hui est l’importation dans l’Eglise du sens sociologique : « êtes-vous pratiquants ? »« Je suis chrétien, mais non pratiquant », etc. On constate un transfert sémantique de la sociologie dans le vocabulaire quotidien des chrétiens, voire même de l’Eglise via ses ministres. A tel point qu’on peut parler d’une pollution sémantique venant de la sociologie qui obscurcit ce que la Bible et la Révélation en générale veut nous dire sur ce qu’est un chrétien :elle obscurcit le sens authentique du mot. Etre pratiquant ne correspond à rien bibliquement parlant, puisqu’un chrétien se définit par son appartenance quotidienne et existentielle au Christ : il ne « pratique » pas,il est AVEC Jésus. Un chrétien non pratiquant est un non-sens.
Il me semble urgent de ré-évangéliser nos concepts dans l’Eglise catholique. Puisque le christianisme est une Révélation (fortement réaffirmé à Vatican II), notre conceptualité doit recevoir sans cesse cette Révélation, pour ne pas remplir un concept d’une matière simplement humaine, d’une signification sociologique,mais pour remplir nos concepts de ce que Dieu veut y mettre, de ce que la Révélation dit et affirme. Si nous ne faisons pas cela, la Révélation de Dieu dans la Bible achevée en Jésus va continuer à se diluer dans le flot de vagues définitions trop humaines. Et nous allons continuer à perdre ce qui fait l’identité d’un chrétien : le Christ. Pour ré-évangéliser nos concepts, il serait bon que la Bible soit notre point de repère, notre référentiel sur cette question et non la presse française ou les discussions de salon.
Cette distinction succinctement abordée dans cet article pose une multitude de problèmes aujourd’hui dans les paroisses, dans la pastorale :
- Comment faire passer les chrétiens sociologiques à un christianisme biblique et non plus nominal ?
- Quel danger pose cette cohabitation ? A force de voir les chrétiens sociologiques venir baptiser leur enfant à la messe, certains paroissiens peuvent penser que ce n’est que cela la foi. Est-ce que cela ne dessert pas l’ensemble de l’Eglise que d’encourager ce type de pratique ?
- Faut-il ménager dans nos paroisses une authentique communauté de chrétiens bibliques ?
- Comment peut-on arrêter d’engendrer des chrétiens sociologiques ?
- Où est la cause de cela ?
- La pratique sacramentelle, souvent laissée à elle-même, est-elle en partie responsable ?
- Comment gérer intelligemment l’afflue de chrétiens sociologiques lors des grandes fêtes liturgiques ?
Avis à tous les pasteurs et chrétiens authentiques ! Place aux débats !
[1] Sur ce sujet, je vous recommande cet article : http://biblique.blogspirit.com/archive/2011/12/17/l-invention-du-mot-chretien1.html
[2]Jeung Ou NAM, Les chrétiens sociologiques et le renouveau de l’Eglise. Jeung-Ou NAM est docteur en théologie et professeur de missiologie à la Faculté presbytérienne de Séoul.
Tout à fait d’accord,et j’illustrerais par une remarque : pour certains, on est chrétiens car on est baptisé…Ridicule, c’est un raisonnement d’Etat-Civil, on serait chrétien de naissance de même façon qu’on reçoit une identité civile et la nationalité française en naissant, c’est ridicule car dans ma génération, il y a beaucoup de baptisés « sociologiques » beaucoup d’enfants ont été baptisés par pur conformisme social et rituel par des croyants qui ne croyaient pas vraiment en Dieu. Un chrétien est quelq’un qui adhère au message du Christ. Deuxième observation : j’ai été choqué de la façon dont le magazine en ligne « Aletia » définissait l’identité chrétienne : L’amour du prochain ? La fidélité au message évangélique ? Non, mon fils, tu es chrétien si tu vas à la messe tous les dimanches et si tu te confesse à ton curé une fois l’an….Cette définition de l’identité chrétienne par de purs critères de pratique est consternante !
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Je résonne en grande partie avec ce que vous dites. Je me permet de vous renvoyer à un autre article qui va sans doute vous intéresser:
https://repenserleglise.fr/2018/12/06/chretiens-sociologiques-ou-chretiens-bibliques/
La question de l’identité du chrétien doit être repenser à partir des données bibliques, à partir de la Révélation. Sinon, on projette notre façon de pensée, et comme vous dites, être chrétien, ce n’est pas un état -civil. L’expression est savoureuse!
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