Pour une fondation domestique de l’Eglise

« Et chaque jour, dans le temple et dans les maisons, ils continuaient sans arrêt à donner leur enseignement en annonçant la Bonne Nouvelle de Jésus, le Messie » (Actes 5,42).

Tel est un des refrains des Actes des Apôtres. Les récits de ce livre se balancent du Temple aux maisons, à tel point qu’à la suite du martyr d’Etienne, l’Eglise de Jérusalem subissant une « grande persécution » (Ac 8,1), Saul est contraint d’aller « de maison en maison » pour détruire l’Eglise (Ac 8,3).

L’Eglise naissante n’avait bien évidemment aucun bâtiment à elle, l’Eglise ne désignant pas d’abord l’institution ou encore moins le bâtiment que nous connaissons, mais une assemblée (ceux qui ont été appelés par le Christ), qui se rassemblait pour l’enseignement des Apôtres, la fraction du pain, … (Ac 2, 42-38).

Dans son ouvrage Comment les chrétiens sont devenus catholiques, l’historienne Marie-Françoise Baslez montre bien comment les communautés chrétiennes se sont organisées d’abord par « maisons » (famille au sens large, les serviteurs), puis dans les maisons les plus grandes[1]. L’homme antique vivait en communauté beaucoup plus que nous. L’homme privé n’existait pas, affirme M.F. Baslez. Il avait différents niveaux d’appartenance, ce qui rejaillissait bien évidemment sur l’Eglise naissante : les premiers chrétiens appartenaient à l’Eglise par une maisonnée, dans un groupe de gens se reconnaissant du Christ, des « christ-iens », des chrétiens comme on les appellera à Antioche.

Ainsi, l’ecclésiologie des Actes et l’histoire des premiers siècles nous montrent que l’Eglise a d’abord été une Eglise domestique. Plus tard, du fait de la christianisation de l’Empire de la mise en réseau des communautés locales et des premiers conciles, l’Eglise s’est institutionnalisée, hiérarchisée et a suscité des assemblées plus importantes.

La crise du Covid, si elle nous a éloignés les uns des autres, a aussi eu comme impact de nous faire retrouver cette dimension essentielle d’ « église domestique », que nous avons sans doute perdue au fil du temps.  

L’Eglise est le lieu où chacun a le privilège d’être connu et reconnu pour ce qu’il est, avec ses talents, ses richesses, sa foi, son histoire et ses pauvretés. Est-ce que nos grandes assemblées dominicales permettent cela ? Dans nos paroisses, appelées « communautés », il arrive qu’il faille plusieurs mois avant de connaître le nom de son voisin et échanger une invitation. Le rassemblement dominical reste essentiel pour la vie de l’Eglise ; il nous faut nous rassembler. Mais, ne faudrait-il pas y ajouter une dimension plus locale, au plus proche des personnes, qu’il s’agisse de fraternités, de groupes de maison ou encore de small groups »[2] ?

On peut imaginer un groupe de cinq à quinze personnes, qui offre la possibilité à chacun de parler, dire ce qu’il est, être connu et intégré dans un tissu humain fraternel. Cette proximité humaine et spirituelle avec d’autres permet par la suite de retrouver le sentiment d’appartenance à l’Eglise ; comme le dit St Paul, être membre, au sens fort du terme, du corps ecclésial, du « corps du Christ ».

Cette pastorale de petits groupes domestiques pourrait revitaliser nos Eglises, sans pour autant se mettre en rivalité avec les moments sacramentels en grande assemblée. Se retrouver en frères et sœurs en Christ autour de la Parole dans une maison peut redonner sens à toutes les autres dimensions de nos Eglises.  Il s’agit bien de revitaliser, de ressourcer au sens fort, c’est-à-dire revenir à la source de ce qu’est l’Eglise, une assemblée de frères et sœurs qui adhèrent à la Parole comme étant celle du Christ, et qui veulent en vivre au quotidien.

Pour exemple, on peut évoquer de grandes Eglises anglo-saxonnes qui ont développé un ministère de « small groups ». Saddleback Church a démarré avec sept personnes dans un salon ; l’Eglise compte désormais plus de 3500 petits groupes ! Cela peut nous paraître démesuré, mais l’Eglise reste très humaine. Elle intègre les personnes qui s’en approchent en leur proposant différents petits groupes : des groupes pour ceux qui viennent de rencontrer Jésus, d’autres pour des adultes célibataires, ou pour des jeunes pros, des couples avec des jeunes enfants, … On adapte le groupe au besoin de chacun et aux saisons de la vie.

Les fruits de cette pastorale sont nombreux et impressionnants. On peut citer les plus importants : se retrouver régulièrement autour de la Bible crée une culture ecclésiale de la Parole ; on s’encourage mutuellement à lire la Bible et à la recevoir dans nos vies ; être fidèle à son petit groupe cultive la fidélité à son Eglise, sa paroisse, mais aussi la fidélité à la prière ; enfin, ces groupes peuvent se mettre au service de la pastorale paroissiale, moyennant une formation, bien sûr. On peut aussi noter que le fait de responsabiliser ces personnes au sein de la paroisse permet au prêtre ou pasteur de partager un peu plus sa charge pastorale.

En fait, le but de cette pastorale d’église domestique est de faire des « disciples-missionnaire » et la mission sera plus facile s’il y a ce tissu fraternel. Le lien qui existe au sein de ces petits groupes est indispensable pour apprendre à être disciple. On ne peut être disciple seul : on le devient tout au long de sa vie en fréquentant d’autres disciples.

Depuis une dizaine d’années, en Europe aussi, de nombreux lieux d’Eglise découvrent ou redécouvrent ce type de pastorale. Gageons qu’elle donne à l’Eglise de demain un visage plus  fraternel !


[1] M.F.BASLEZ, Comment les chrétiens sont devenus catholiques, 1er au Vème siècle, Tallandier, 2019.

[2] Termes utilisés dans les Eglise anglo-saxonnes.

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Publié par ThibautG

Vouloir l'Eglise que Dieu veut

2 commentaires sur « Pour une fondation domestique de l’Eglise »

  1. OUI cette vision d’Eglise domestique, Eglise de maisons , est d’une urgence absolue . Il y avait aussi dans les années 1990 la vague des « cellules d’évangélisation  » (selon Don Pigi en Italie et en France , qui avait repris ça d’un pasteur sud-coréen , il me semble), on en parle moins maintenant . Selon moi , dans cette méthode des « cellules » (l’image se voulait biologique , les cellules se multiplient par divisions successives, par attraction de proche en proche de nouveaux membres), la place du pasteur ou du prêtre était encore trop centrale, dans l’organigramme et aussi dans la centralisation des enseignements. Mais l’idée que chaque membre de la paroisse ait la possibilité de rejoindre un petit groupe de proximité est bonne.
    il me semble qu’un obstacle mental important dans l’Eglise catholique romaine est cet atavisme clérical qui fait que encore bien trop souvent : sans prêtre ou diacre il ne se passe plus rien ! Par exemple, on préfère que les indispensables prêtres fassent des KM dans leur région le WE pour presider des Eucharisties avec des mini assemblées. Mais les fidèles doivent pouvoir se réunir localement et prier , partager la Bible, vivre une communion humaine et spirituelle sans même la présence d’une personne « mandatée » par l’autorité ecclésiale. Il y a le risque d’éclatement ou de dispersions …mais les chrétiens éveillés sont déjà dispersés dans la masse des campagnes ou des grandes villes (je pense plutôt à l’Europe). Et les liens internets d’aujourd’hui montrent leur utilité.
    Je pense surtout que l’Eglise catholique romaine doit réformer sa pratique et sa théologie des ministères, diversifier les ministères (enfermés dans la trilogie masculine : diacre, presbytre , évêque), créer ou redécouvrir le ministère de « responsable » ou de « serviteur » d’Eglise de maison , de « prédicateur », d’ « accompagnateur » ….etc … J’imagine qu’ un prêtre curé d’une immense paroisse sur un grand territoire rural pourrait déléguer un.e fidèle (dûment formé.e , selon la formule) pour présider une assemblée eucharistique de maison.
    Ici en Algerie , des communautés de religieuses catholiques , dispersées et éloignées des lieux de cultes, attendent la venue d’un prêtre pour célébrer l’Eucharistie. Je rêve du jour où une des sœurs pourra présider l’Eucharistie de sa Fraternité.
    Enfin bref , je résume : diversifier les ministères des femmes et hommes ; favoriser l’émergence de fidèles autonomes et responsables de leur foi ; former à la vie spirituelle basée sur l’incarnation de la Parole évangélique.

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